Vous prenez des stéroïdes pour une maladie auto-immune, une inflammation sévère ou un traitement de chimiothérapie. Tout va bien… jusqu’au jour où vous ne vous reconnaissez plus. Vous entendez des voix, vous croyez que quelqu’un vous suit, vous vous sentez paranoïaque ou soudainement hyperactif, sans raison. Ce n’est pas une dépression, ce n’est pas une crise de panique. C’est une psychose induite par les stéroïdes.
Ce n’est pas rare. Sur 100 patients traités par des corticoïdes à forte dose, jusqu’à 6 peuvent développer une psychose. Dans certains cas, ce chiffre monte à 18 % quand la dose dépasse 80 mg de prednisone par jour. Et pourtant, beaucoup de médecins, même en urgence, ne pensent pas tout de suite à cette cause. Pourtant, c’est l’une des formes de psychose les plus traitables - si on la reconnaît à temps.
La psychose stéroïdienne ne commence pas par des hallucinations intenses. Elle commence souvent par quelque chose de subtil : une confusion, une agitation inexpliquée, une irritabilité soudaine. Ces signes apparaissent généralement dans les 1 à 5 jours suivant le début du traitement, parfois même après une seule prise.
Ensuite, les symptômes peuvent évoluer :
Un patient peut présenter un mélange de ces symptômes. Une étude de 1983 sur 79 cas a montré que 40 % des patients développaient une dépression, 28 % une manie, et 14 % une psychose pure. Ce qui est crucial, c’est que ces symptômes surviennent après l’initiation du traitement, et non avant. Si vous aviez déjà une maladie psychiatrique avant de prendre les stéroïdes, ce n’est pas la même chose.
Avant de dire « c’est dû aux stéroïdes », il faut éliminer tout le reste. Une psychose peut aussi venir d’une infection, d’un déséquilibre électrolytique, d’un taux de sucre trop élevé, d’une tumeur cérébrale, ou d’une consommation de drogue. En urgence, on ne peut pas se contenter d’une hypothèse.
Les médecins doivent faire :
Si tous ces examens sont normaux, et que les symptômes apparaissent après le début du traitement, alors on peut raisonnablement conclure à une psychose induite par les stéroïdes. C’est un diagnostic d’exclusion - mais c’est un diagnostic crucial.
Les stéroïdes synthétiques comme la prednisone imitent le cortisol, notre hormone du stress naturelle. Mais ils ne le font pas comme le corps le fait. Ils activent trop de récepteurs dans le cerveau, en particulier dans les régions qui régulent les émotions, la mémoire et la perception. Cela déséquilibre les neurotransmetteurs comme la dopamine et la sérotonine.
Le système HPA (hypothalamus-pituitaire-surrénales) est aussi perturbé. Vos surrénales, qui produisent naturellement le cortisol, se mettent à « dormir » parce que le corps pense qu’il en a déjà trop. Ce déséquilibre entre les récepteurs de glucocorticoïdes et de minéralocorticoïdes ressemble à ce qu’on voit dans la maladie de Cushing - mais en plus rapide, et souvent réversible.
On ne comprend pas encore tout. Pourquoi certains patients développent-ils une psychose à 40 mg, alors que d’autres tolèrent 200 mg sans problème ? Des recherches sont en cours pour identifier des marqueurs génétiques ou biologiques qui prédisent ce risque. Un essai clinique du NIH, lancé en 2021, suit 500 patients pour trouver ces prédictions. Les résultats devraient être disponibles fin 2024.
La première règle : sécuriser le patient. Si la personne est violente, désorientée, ou menace de se faire du mal, il faut agir vite - mais sans brutalité.
Les réstraints physiques ne doivent être utilisés que comme dernier recours. Ils augmentent la peur, la confusion, et peuvent aggraver la psychose. Préférez la dé-escalation verbale, un environnement calme, et une présence rassurante.
Ensuite, on administre un antipsychotique. Mais attention : on ne donne pas la même dose que pour une schizophrénie. Pour une psychose induite, on utilise 50 à 75 % de la dose habituelle.
Les options recommandées :
Si on utilise l’halopéridol en injection, il faut systématiquement associer un médicament comme la diphenhydramine ou le benztropine pour éviter les mouvements involontaires (syndromes extrapyramidaux).
Les benzodiazépines (comme le lorazepam) peuvent aider à calmer l’agitation, mais ne traitent pas la psychose en elle-même. Elles sont un soutien, pas une solution.
Les antipsychotiques soulagent les symptômes, mais ils ne guérissent pas la cause. La seule façon d’arrêter la psychose à la racine, c’est de réduire la dose de stéroïdes.
La plupart des patients (92 %) voient leurs symptômes disparaître complètement quand la dose est abaissée à moins de 40 mg de prednisone par jour - ou l’équivalent en dexaméthasone (6 mg). C’est une donnée clé : la plupart des cas sont réversibles.
Mais ici, la difficulté vient de la maladie de base. Si le patient a un lupus, une polyarthrite, ou une maladie pulmonaire grave, on ne peut pas arrêter les stéroïdes brutalement. On risque un choc d’abstinence, une rechute de la maladie, voire la mort.
La solution ? Une réduction progressive, encadrée par un médecin. Parfois, on remplace les stéroïdes oraux par une forme locale (inhalée, topique, intra-articulaire) pour réduire l’effet systémique. Dans les cas très sévères, on peut envisager des immunosuppresseurs alternatifs comme le méthotrexate ou le rituximab, sous surveillance.
Quand la maladie sous-jacente exige une dose élevée et prolongée, on doit traiter la psychose de façon plus durable. Dans ce cas, on continue les antipsychotiques à faible dose, souvent pendant plusieurs semaines ou mois.
Le lithium, utilisé pour traiter le trouble bipolaire, a aussi montré une efficacité pour prévenir la manie induite par les stéroïdes. Mais il est dangereux : il faut surveiller les taux sanguins, les reins, la thyroïde. Il ne doit être prescrit que par un psychiatre spécialisé.
D’autres médicaments comme les ISRS (fluoxétine, sertraline), les antidépresseurs tricycliques, ou des anticonvulsivants comme le valproate ou la carbamazépine sont parfois utilisés, mais les preuves sont moins solides. Ce ne sont pas des traitements de première intention.
En 2022, une enquête menée auprès de 127 médecins d’urgence aux États-Unis a révélé un problème majeur : 61 % d’entre eux prescrivaient des doses d’antipsychotiques trop élevées - parfois jusqu’à 30 mg d’olanzapine, soit 10 fois plus que la dose recommandée pour une psychose stéroïdienne.
Et pourtant, ces doses élevées augmentent les risques de somnolence, de chute, d’arythmie, ou de syndrome neuroleptique malin - une complication potentiellement mortelle.
Autre erreur : attendre que la psychose soit complète pour agir. Beaucoup de médecins pensent qu’il faut des hallucinations claires pour diagnostiquer. Mais les premiers signes - agitation, confusion, insomnie - sont déjà des alertes. Agir tôt, c’est éviter l’hospitalisation en psychiatrie, les traumatismes, les comportements violents.
Une fois stabilisé, le patient doit être suivi par une équipe pluridisciplinaire : médecin traitant, psychiatre de liaison, pharmacien. Il faut :
Des outils d’aide à la décision sont en cours de développement. L’American Psychiatric Association prépare un logiciel qui, en 2025, intégrera la dose de stéroïdes, l’âge du patient, son historique psychiatrique, et les premiers signes cliniques pour proposer une recommandation en temps réel. Cela pourrait changer la donne dans les hôpitaux.
La psychose induite par les stéroïdes n’est pas une maladie mentale en soi. C’est une réaction toxique, temporaire, et réversible. Mais elle peut être fatale si on la néglige.
Elle touche des patients âgés, des enfants, des personnes en rémission de cancer, des malades du système immunitaire. Ce ne sont pas des « fous ». Ce sont des malades qui ont besoin d’un traitement pour survivre - et qui méritent qu’on les protège de ses effets secondaires.
La prochaine fois que vous verrez un patient agité, confus, ou délirant après un traitement aux stéroïdes, ne pensez pas « c’est psychiatrique ». Pensez : « c’est médical ». Et agissez vite - avec calme, précision, et humanité.
Les risques augmentent fortement au-delà de 40 mg/jour de prednisone. À plus de 80 mg/jour, jusqu’à 18,4 % des patients développent des symptômes psychiatriques sévères. Cependant, même des doses plus faibles peuvent provoquer une psychose chez des personnes sensibles, surtout si elles ont déjà des antécédents psychiatriques.
Non. Dans 92 % des cas, les symptômes disparaissent complètement dès que la dose de stéroïdes est réduite à un niveau plus faible. Le rétablissement peut prendre quelques jours à quelques semaines, mais la guérison est complète dans la grande majorité des cas.
Pas toujours. Si les symptômes sont légers (agitation, insomnie), une simple réduction des stéroïdes et un suivi rapproché peuvent suffire. Mais dès que des hallucinations ou des délires apparaissent, un antipsychotique à faible dose est recommandé pour sécuriser le patient et accélérer la récupération.
Parce qu’elle est rare et qu’elle ressemble à d’autres troubles mentaux. Beaucoup de médecins ne savent pas qu’elle peut survenir en seulement 2 jours. De plus, les patients sont souvent traités par des spécialistes (rhumatologues, oncologues) qui ne sont pas formés à reconnaître les signes psychiatriques. Il manque encore des protocoles clairs dans les services d’urgence.
Oui, partiellement. Pour les patients à risque (antécédents psychiatriques, âge avancé, traitement à forte dose), on peut envisager une prophylaxie préventive avec un antipsychotique léger dès le début du traitement. De nouveaux outils d’aide à la décision, prévus pour 2025, permettront de mieux identifier les patients à risque avant même de commencer les stéroïdes.
J'ai vu ça en service d'urgence l'année dernière : un mec de 68 ans, en chimio, qui a cru que sa télécommande le surveillait. On a réduit la prednisone, 48h plus tard, il rigolait avec les infirmières. C'est fou comment un médicament qui sauve peut aussi te faire perdre la tête.
sept. 25 2025