Quand un médicament générique veut entrer sur le marché avant la fin de la protection brevetée d’un produit phare, il ne peut pas simplement le copier et le vendre. Il doit passer par une procédure légale complexe appelée certification Paragraph IV. C’est un mécanisme créé par la loi Hatch-Waxman de 1984 aux États-Unis, conçu pour équilibrer deux objectifs contradictoires : protéger l’innovation pharmaceutique tout en permettant une concurrence rapide et abordable grâce aux génériques. Ce n’est pas une simple formalité. C’est une bataille juridique et scientifique qui peut durer des années, coûter des millions de dollars, et décider du prix que vous paierez pour vos médicaments.
Chaque médicament approuvé par la FDA est listé dans le Orange Book, un registre public qui indique les brevets liés au produit. Quand une entreprise de génériques prépare sa demande d’autorisation de mise sur le marché (ANDA), elle doit déclarer comment elle traite ces brevets. La plupart choisissent la certification Paragraph III : elles attendent simplement que les brevets expirent. Mais celles qui veulent entrer plus tôt, choisissent la Paragraph IV. Elles affirment officiellement que les brevets du médicament original sont soit invalides, soit non infracteurs, soit inapplicables.
Cette déclaration n’est pas une simple opinion. C’est une violation légale délibérée. Selon la loi fédérale (35 U.S.C. § 271(e)(2)), déposer une certification Paragraph IV équivaut à un acte d’infraction de brevet, même si le générique n’est pas encore vendu. C’est ce qu’a confirmé la Cour suprême en 1985 dans l’affaire Eli Lilly v. Medtronic. Cette règle existe pour forcer les entreprises innovantes à agir rapidement. Dès qu’elles reçoivent la notification de la certification Paragraph IV, elles ont exactement 45 jours pour intenter une action en contrefaçon. Si elles le font, une suspension automatique de 30 mois est déclenchée. Pendant cette période, la FDA ne peut pas approuver le générique, même si tout le reste est en ordre.
Les litiges Paragraph IV ne portent pas sur la qualité du générique. Ils portent sur les mots d’un brevet. La clé de la victoire réside dans la construction des revendications - c’est-à-dire l’interprétation juridique précise des termes utilisés dans les revendications du brevet. Un juge organise une audience appelée Markman hearing pour déterminer ce que signifient exactement ces termes. Par exemple, si un brevet protège un composé chimique avec une « forme cristalline spécifique », le générique doit prouver qu’il utilise une forme différente. Si le juge décide que la forme du générique est incluse dans la revendication, l’entreprise perd. Si le juge dit que la revendication est trop vague ou qu’elle couvre déjà un produit connu, le générique gagne.
Deux arguments dominent les litiges : l’invalidité du brevet et l’absence d’infraction. Pour prouver l’invalidité, les génériques montrent que le brevet n’était pas nouveau (prior art) ou qu’il était évident pour un expert du domaine (obviousness). Pour prouver l’absence d’infraction, ils démontrent que leur produit ne respecte pas tous les éléments de la revendication du brevet. La plupart des cas se terminent par un règlement, souvent par des accords « pay-for-delay » - où l’entreprise innovante paie le générique pour retarder son entrée. Cette pratique a été condamnée par la Cour suprême en 2013 dans l’affaire FTC v. Actavis, mais elle persiste dans des formes plus subtiles.
Le grand stimulant pour les entreprises de génériques ? L’exclusivité de 180 jours. Le premier à déposer une certification Paragraph IV valide et à remporter le litige obtient un monopole sur le marché générique pendant six mois. Pendant cette période, aucune autre entreprise ne peut vendre une version générique du médicament. Cela crée une incitation massive. En 2014, 87 % des demandes Paragraph IV étaient déposées dans le but d’être le premier. Ce n’est pas juste une récompense - c’est une stratégie de survie économique.
Quand Barr Laboratories a gagné son litige contre Eli Lilly pour le Prozac® en 2000, elle a capturé 75 % du marché générique pendant ses 180 jours. Le prix du médicament est tombé de 3,50 $ la pilule à 0,20 $ en quelques mois. Selon la FTC, les génériques entrés via Paragraph IV ont fait économiser aux consommateurs américains 1,68 billion de dollars entre 2009 et 2019. Mais cette exclusivité est aussi un piège. Si une entreprise échoue dans son litige, elle ne peut jamais récupérer les millions investis. Mylan a dû payer 1,1 milliard de dollars en dommages-intérêts après avoir perdu un litige contre Novartis pour le Gleevec® en 2017.
Les entreprises innovantes ne restent pas inactives. Elles ont appris à se protéger en déposant plusieurs brevets sur un seul médicament. En 1984, un médicament avait en moyenne 1,2 brevet dans l’Orange Book. En 2020, cette moyenne était de 4,8. Ces brevets ne protègent pas toujours la molécule principale. Ils couvrent des formes galéniques, des méthodes d’administration, des combinaisons avec d’autres composés - des brevets secondaires appelés « evergreening ». C’est ce qui a permis à AbbVie de bloquer les génériques de Humira® pendant plus de 15 ans, malgré l’expiration du brevet principal.
Les génériques doivent maintenant analyser non pas un, mais cinq, dix, ou même quinze brevets. Chaque brevet peut être contesté séparément, mais chaque défi coûte entre 2 et 8 millions de dollars. Selon une étude de Cortellis en 2022, les entreprises de génériques dépensent en moyenne 2,3 millions de dollars avant même de déposer leur demande. Et si elles échouent, elles perdent tout. C’est pourquoi seulement 65 % des litiges Paragraph IV aboutissent à une victoire pour le générique, selon une étude de l’UNC en 2021.
La procédure Paragraph IV est unique aux États-Unis. En Europe, l’Agence européenne des médicaments (EMA) n’a pas d’équivalent. Les génériques doivent attendre l’expiration de tous les brevets, ce qui retarde leur entrée de plusieurs années. Même aux États-Unis, les biosimilaires (génériques de médicaments biologiques) ne bénéficient pas du même système. Leur processus, défini par la loi BPCIA, est plus complexe, sans période de suspension fixe, et avec une exclusivité de 12 mois au lieu de 180 jours.
Les procédures de révision post-grant au USPTO (IPR) sont moins coûteuses - environ 2,1 millions de dollars en moyenne - mais elles ont un taux de succès plus faible (35 %) et ne permettent pas d’obtenir l’exclusivité de 180 jours. Les entreprises de génériques préfèrent donc les tribunaux fédéraux, malgré les coûts, parce que le fardeau de la preuve est plus faible : il suffit de prouver l’invalidité par « prépondérance des preuves », pas par « preuve claire et convaincante » comme au USPTO.
La pression monte pour réformer ce système. La FTC a identifié la réforme de la Paragraph IV comme priorité en 2023. Les brevets de méthode d’utilisation ont augmenté de 45 % à 68 % entre 2010 et 2022, selon l’Université de Californie. Le Congrès a réagi avec la loi CREATES de 2023, qui oblige les entreprises innovantes à fournir des échantillons aux génériques pour les tests de bioéquivalence - une pratique qu’elles utilisaient pour retarder l’entrée des génériques.
La loi sur la réduction de l’inflation de 2022, qui permet à Medicare de négocier les prix des médicaments, pourrait aussi changer la dynamique. Si les entreprises ne peuvent plus compter sur des prix élevés pendant longtemps, elles pourraient être moins enclines à dépenser des millions pour retarder les génériques. Mais elles pourraient aussi déposer encore plus de brevets pour protéger leur marge.
La tendance actuelle est claire : les brevets sont de plus en plus nombreux, les litiges de plus en plus longs, et les coûts de plus en plus élevés. Le système Paragraph IV a permis des économies colossales, mais il est devenu un terrain de guerre où les ressources financières comptent autant que la science. Ce n’est plus une question de savoir si un générique est bon. C’est une question de savoir si quelqu’un a les moyens de le faire entrer sur le marché.
Pour réussir, une entreprise de génériques doit :
- Identifier les brevets faibles dans l’Orange Book - ceux qui reposent sur des formes, des doses ou des méthodes faciles à contourner.
- Investir dans une analyse scientifique rigoureuse avant même de déposer la demande - 63 % des demandes rejetées échouent parce que leur justification juridique est insuffisante.
- Préparer un plan de production dès le début : la mise en place d’une chaîne de fabrication peut coûter entre 15 et 25 millions de dollars.
- Faire un timing parfait : trop tôt, et vous êtes attaqué sur plusieurs fronts ; trop tard, et vous perdez l’exclusivité.
- Accepter que 76 % des cas se règlent avant le procès - et se préparer à négocier ou à se battre jusqu’au bout.
Le système Paragraph IV n’est pas parfait. Il est cher, lent, et parfois manipulé. Mais il reste la seule voie légale qui permet aux patients d’avoir accès à des médicaments génériques à bas prix avant que les brevets ne soient officiellement expirés. Sans elle, les prix des médicaments resteraient bloqués pendant des années. Et ce n’est pas seulement une question de commerce. C’est une question de santé publique.
La certification Paragraph IV est une déclaration faite par un fabricant de génériques dans sa demande d’autorisation de mise sur le marché (ANDA), affirmant qu’un ou plusieurs brevets listés dans l’Orange Book pour un médicament original sont invalides, inapplicables ou ne sont pas enfreints. Cela déclenche automatiquement une action en contrefaçon de la part du détenteur du brevet et une suspension de 30 mois de l’approbation par la FDA.
Contrairement aux procédures d’examen post-grant comme l’IPR, la Paragraph IV se déroule dans les tribunaux fédéraux avec un fardeau de preuve plus faible (prépondérance des preuves vs. preuve claire et convaincante). Elle offre aussi une exclusivité de 180 jours au premier gagnant, ce qui n’existe pas dans les procédures du USPTO. Même si elle est plus chère, elle est plus efficace pour permettre l’entrée rapide des génériques.
Un « pay-for-delay » est un accord secret entre une entreprise innovante et un fabricant de génériques, où l’entreprise paie le générique pour qu’il reporte son entrée sur le marché. Cette pratique a été condamnée par la Cour suprême en 2013, car elle réduit la concurrence et maintient les prix élevés. Elle est devenue moins fréquente, mais persiste sous des formes plus complexes.
Elles déposent des brevets secondaires sur des formes, des doses, des méthodes d’administration ou des combinaisons - appelés « evergreening » - pour créer un « thicket » (broussaille) de brevets. Cela rend le litige plus coûteux et complexe pour les génériques, ce qui retarde leur entrée sur le marché, même après l’expiration du brevet principal.
Après l’entrée d’un générique grâce à une certification Paragraph IV, les prix chutent en moyenne de 79 % dans les six mois suivants. Le premier générique capture 70 à 80 % du marché pendant ses 180 jours d’exclusivité, ce qui pousse les autres fabricants à baisser leurs prix pour rester compétitifs.