Les statines sont l’un des médicaments les plus prescrits au monde pour réduire le risque de maladies cardiaques. Pourtant, chez les femmes, elles posent des problèmes bien différents de ceux observés chez les hommes. Ce n’est pas une question de « trop de médicaments » ou de « sensibilité exagérée » : c’est de la biologie. Et cette biologie, longtemps ignorée, explique pourquoi tant de femmes arrêtent leur traitement, souvent trop tôt.

Les femmes sont moins traitées… et pourtant elles en ont besoin

Malgré des preuves claires que les statines sauvent des vies - chez les hommes comme chez les femmes -, les femmes sont beaucoup moins souvent traitées. En 2019, une étude sur plus de 5 600 patients aux États-Unis a montré que seulement 67 % des femmes qui répondaient aux critères médicaux pour prendre une statine en recevaient une, contre 78 % des hommes. Ce n’est pas une erreur de calcul. C’est un biais. Même après une crise cardiaque, les femmes sont moins susceptibles d’obtenir un traitement préventif efficace.

Pourquoi ? Parce que les médecins, parfois inconsciemment, pensent que les maladies cardiaques concernent surtout les hommes. Parce que les femmes ont souvent été exclues des grandes études cliniques jusqu’aux années 2000. Et parce que leurs symptômes sont plus souvent minimisés. Quand une femme dit qu’elle a mal aux muscles, on lui demande si elle a fait du sport. Quand un homme dit la même chose, on vérifie les taux de CPK.

Les douleurs musculaires : le problème le plus courant - et le plus sous-estimé

La myopathie, c’est-à-dire la douleur ou la faiblesse musculaire causée par les statines, touche 31 % des femmes contre 26 % des hommes, selon l’enquête USAGE. Ce n’est pas une petite différence. C’est une rupture. Et cette différence se creuse avec l’âge. Après 65 ans, les femmes ont jusqu’à deux fois plus de risques de développer une myopathie sévère que les hommes du même âge.

Pourquoi ? Parce que les femmes ont naturellement une filtration rénale plus faible - environ 15 à 20 % moins efficace que les hommes, même en ajustant la taille du corps. Elles ont aussi plus de tissu adipeux : en moyenne 25 à 30 % de graisse corporelle contre 15 à 20 % chez les hommes. Les statines sont liposolubles : elles s’accumulent dans la graisse. Plus de graisse, plus de médicament qui circule, plus de risque d’effets secondaires.

Et puis, les femmes prennent souvent plus de médicaments. Un traitement contre l’hypertension, un antidouleur, un anticoagulant… Tous peuvent interagir avec les statines. C’est particulièrement vrai avec la simvastatine, dont la toxicité augmente de 300 % quand elle est prise avec certains bloqueurs calciques.

Le diabète : un risque réel, mais souvent mal compris

Depuis 2012, la FDA a ajouté un avertissement sur les statines : elles augmentent le risque de diabète de 9 à 27 %, selon le type et la durée du traitement. Le risque est plus élevé avec la rosuvastatine (Crestor), mais il existe avec toutes les statines.

Ce qui est crucial : ce risque est plus marqué chez les femmes post-ménopausées. Une étude de 2013 a montré que, après trois ans de traitement, n’importe quelle statine - même à faible dose - augmente le risque de diabète chez ces femmes, indépendamment du type ou de la quantité prise. Ce n’est pas une question de « trop de médicament ». C’est une réponse biologique liée aux changements hormonaux après la ménopause.

Mais attention : ce risque ne doit pas faire arrêter le traitement. Pour une femme à haut risque cardiovasculaire, les bénéfices l’emportent largement. Le vrai défi, c’est de surveiller. Il faut vérifier la glycémie à jeun tous les 3 à 6 mois. Pas une fois par an. Pas seulement si on a des symptômes. Régulièrement.

Femme dans un bureau médical, médecin sans visage, pilule géante projette des ombres de lectures de glycémie.

La communication : le vrai problème invisible

Une étude de 2019 a révélé que 42 % des femmes disent qu’on ne leur a jamais expliqué pourquoi le cholestérol est dangereux pour le cœur. Seulement 31 % des hommes ont dit la même chose. C’est un gouffre.

Quand une femme ne comprend pas pourquoi elle prend un médicament, elle l’arrête. Quand elle n’a pas été prévenue des effets secondaires possibles, elle pense qu’elle a « mal au corps » et que c’est normal. Elle ne dit rien. Ou alors, on lui dit : « C’est dans ta tête. »

Les femmes sont 2,3 fois plus susceptibles d’essayer trois statines différentes avant d’en trouver une qui leur convienne. Et pourtant, elles sont 37 % moins susceptibles d’être orientées vers d’autres traitements comme l’ézétimibe ou les inhibiteurs de PCSK9, quand les statines ne fonctionnent pas. Pourquoi ? Parce que les médecins ne pensent pas qu’elles « méritent » d’autres options. Parce qu’on pense que les femmes « ne tiendront pas » un traitement plus cher. Parce qu’on ne les écoute pas.

Des solutions concrètes, validées par la science

Il n’y a pas de fatalité. Des solutions existent, et elles marchent.

Commencez par une dose plus faible. Plutôt que d’initier une femme avec 20 mg d’atorvastatine, commencez à 10 mg. Augmentez progressivement. L’étude néerlandaise STATINWISE a montré que cette approche augmente l’adhésion de 32 % après un an.

Utilisez des outils de décision partagée. L’outil « Statin Choice », validé sur 1 200 femmes, a réduit les arrêts de traitement de 40 %. Pourquoi ? Parce qu’il montre clairement : « Voici votre risque de crise cardiaque. Voici ce que la statine peut faire. Voici les effets secondaires possibles. Et voici ce que vous pouvez faire si ça ne va pas. »

Et puis, il y a la génétique. Une variante du gène SLCO1B1, présente chez 23 % des femmes (contre 18 % des hommes), augmente fortement le risque de myopathie. Un simple test génétique avant de commencer peut éviter des mois de douleur inutile. Ce test n’est pas encore standard, mais il devrait l’être.

Femme face à un miroir, moitié de son corps transformée en artères et ADN, trois versions d'elle-même pleurent avec des pilules.

Les femmes en âge de procréer et les femmes âgées : deux cas spécifiques

Si vous êtes en âge d’avoir des enfants, les statines sont formellement contre-indiquées pendant la grossesse. Elles peuvent causer des malformations. Il faut un plan de contraception fiable avant de commencer. Pourtant, 15 % des ordonnances de statines chez les femmes de 18 à 45 ans n’incluent aucune discussion sur la contraception. C’est inacceptable.

Et pour les femmes de plus de 75 ans ? Le risque d’hospitalisation liée aux effets secondaires est 2,1 fois plus élevé que chez les hommes du même âge. Pourquoi ? Parce que les interactions médicamenteuses s’accumulent. Un anticoagulant + une statine + un diurétique = risque de saignement ou d’insuffisance rénale. Il faut revoir tout le traitement, pas seulement la statine.

La vérité, c’est que les statines peuvent marcher pour les femmes - mais pas comme pour les hommes

Les statines ne sont pas « moins efficaces » chez les femmes. Elles sont tout aussi puissantes pour prévenir les crises cardiaques. Mais elles agissent différemment dans le corps d’une femme. Et si on ne le reconnaît pas, on les abandonne. Et c’est là que le vrai risque se crée : pas dans le médicament lui-même, mais dans l’ignorance qui l’entoure.

Il ne s’agit pas de dire « les femmes ne peuvent pas prendre de statines ». Il s’agit de dire : « Les femmes ont besoin d’un autre mode d’approche. » Une dose plus basse. Une surveillance plus rapprochée. Une écoute plus fine. Une communication plus claire. Et surtout, il ne faut pas les traiter comme des hommes plus petits. Elles ne le sont pas.

La science le sait depuis longtemps. Ce qui manque, c’est la pratique.

Pourquoi les femmes ont-elles plus d’effets secondaires avec les statines que les hommes ?

Les femmes ont un métabolisme différent : elles filtrent moins bien les médicaments par les reins, ont plus de graisse corporelle (ce qui retient les statines), et prennent souvent plus de médicaments en même temps. Ces facteurs augmentent la concentration du médicament dans le sang, ce qui augmente les risques de douleurs musculaires, de diabète et d’interactions. Ce n’est pas une question de « tolérance » : c’est de la pharmacologie.

Les statines augmentent-elles vraiment le risque de diabète chez les femmes ?

Oui, mais le risque est modéré. Les études montrent une augmentation de 9 à 27 % selon le type de statine et la durée. Ce risque est plus marqué chez les femmes post-ménopausées, et il existe même avec les faibles doses. Toutefois, pour les femmes à haut risque cardiovasculaire, les bénéfices de la statine l’emportent largement sur ce risque. La clé est de surveiller la glycémie tous les 3 à 6 mois.

Que faire si je n’arrive pas à tolérer une statine ?

Ne vous arrêtez pas sans parler à votre médecin. Essayez d’abord une dose plus faible. Ensuite, changez de statine - certaines sont mieux tolérées que d’autres. Si ça ne marche toujours pas, des alternatives existent : l’ézétimibe, les inhibiteurs de PCSK9, ou des traitements naturels comme les fibres solubles. Mais ces options doivent être prescrites, pas choisies par vous-même. Votre médecin peut vous orienter vers un cardiologue spécialisé en prévention.

Les statines sont-elles dangereuses pendant la ménopause ?

La ménopause augmente le risque cardiovasculaire, donc les statines sont souvent nécessaires. Mais elles sont aussi plus mal tolérées à ce stade : 41 % des femmes post-ménopausées rapportent des douleurs musculaires, contre 33 % chez les femmes plus jeunes. Il faut adapter la dose, surveiller les interactions avec d’autres médicaments (comme les anticoagulants), et ne pas confondre les symptômes de la ménopause avec ceux de la statine. Une évaluation médicale complète est essentielle.

Est-ce que je dois faire un test génétique avant de prendre une statine ?

Ce n’est pas encore une pratique standard, mais cela devrait l’être. Une variante du gène SLCO1B1, présente chez 23 % des femmes, augmente fortement le risque de myopathie. Un simple test génétique peut éviter des mois de douleur inutile. Si vous avez déjà eu des effets secondaires avec une statine, ou si vous avez un antécédent familial de myopathie, demandez à votre médecin si ce test est pertinent pour vous.

Commentaires (3)

Angelique Manglallan
  • Angelique Manglallan
  • décembre 13, 2025 AT 22:54

Je suis une femme de 58 ans qui a arrêté la rosuvastatine après 3 mois de douleurs aux jambes comme si j’avais couru un marathon sans m’entraîner. On m’a dit que c’était « dans ma tête ». J’ai fini par consulter un pharmacien indépendant - il m’a fait le test SLCO1B1. Résultat : je suis dans les 23 %. J’ai changé de statine, dose minimale, et ça va. Personne ne m’a parlé de ce test. C’est scandaleux.

James Harris
  • James Harris
  • décembre 14, 2025 AT 04:53

Les femmes ont plus de graisse = les statines s’accumulent. Point. Fin de l’histoire.

Micky Dumo
  • Micky Dumo
  • décembre 15, 2025 AT 07:07

Il est essentiel de souligner que la biologie sexuelle n’est pas un obstacle à la thérapie, mais un guide pour l’adapter. La médecine personnalisée n’est plus un luxe - elle est une obligation éthique. Les protocoles actuels, fondés sur des données masculines, sont obsolètes. Il est temps que les sociétés savantes et les agences réglementaires imposent des normes de recherche inclusives. La santé des femmes ne peut plus être une afterthought.

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